La loi sur le secret des affaires est un danger pour nos libertés fondamentales
Une quarantaine de
personnalités, lanceurs d’alerte, journalistes, représentants de
syndicats et d’ONG, et une vingtaine de sociétés de journalistes
(dont celle de «Libération») alertent sur les dangers d’un texte
bientôt examiné au Parlement, qui met «gravement en cause
l’intérêt général et le droit des citoyens à
l’information».
«La loi sur le secret des affaires est un danger pour nos libertés fondamentales»
L’Assemblée nationale et le Sénat s’apprêtent à remettre en cause nos libertés fondamentales en votant, via une procédure accélérée, une proposition de loi portant sur le secret des affaires.
Ce texte, qui sera
étudié en séance publique à l’Assemblée nationale le 27 mars
et qui porte sur «la protection des savoir-faire et des informations
commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et
la divulgation illicites», est la transposition d’une directive
européenne adoptée en 2016 malgré les mises en garde des ONG, des
syndicats, des journalistes, des chercheurs et l’opposition massive
des citoyens. Cette directive a été élaborée par les lobbys des
multinationales et des banques d’affaires qui souhaitaient un droit
plus protecteur pour leurs secrets de fabrication et leurs projets
stratégiques, alors que le vol de documents et la propriété
intellectuelle sont déjà encadrés par la loi.
La France dispose de
marges de manœuvre importantes pour la transposition de la directive
dans notre droit national, et peut préserver les libertés tout en
respectant le droit européen. Pourtant, le gouvernement et la
majorité semblent avoir choisi, en catimini, de retenir une option
remettant gravement en cause l’intérêt général et le droit des
citoyens à l’information. La proposition de loi sur le secret des
affaires a des implications juridiques, sociales, environnementales
et sanitaires graves. De fait, ce texte pourrait verrouiller
l’information à la fois sur les pratiques et les produits
commercialisés par les entreprises.
En effet, la
définition des «secrets d’affaires» est si vaste que n’importe
quelle information interne à une entreprise peut désormais être
classée dans cette catégorie. L’infraction au secret des affaires
aurait lieu dès lors que ces informations seraient obtenues ou
diffusées et leur divulgation serait passible de sanctions pénales.
Les dérogations instituées par le texte sont trop faibles pour
garantir l’exercice des libertés fondamentales. Des scandales
comme celui du Mediator ou du bisphénol A, ou des affaires comme les
Panama Papers ou LuxLeaks pourraient ne plus être portés à la
connaissance des citoyens.
Qu’il s’agisse
d’informations sur les pratiques fiscales des entreprises, de
données d’intérêt général relatives à la santé publique ou
liées à la protection de l’environnement et à la santé des
consommateurs, les journalistes, les scientifiques, les syndicats,
les ONG ou les lanceurs d’alertes qui s’aventureraient à rendre
publiques de telles informations s’exposeraient à une procédure
judiciaire longue et coûteuse, que la plupart d’entre eux seraient
incapables d’assumer face aux moyens dont disposent les
multinationales et les banques. C’est là le pouvoir de cette loi :
devenir une arme de dissuasion massive.
Pour les téméraires
qui briseront cette loi du silence, on peut toujours espérer que les
tribunaux feront primer la liberté d’expression et d’informer.
La récente affaire Conforama indique plutôt le contraire. Les
soi-disant garanties proposées par le gouvernement français ne
couvrent pas tous les domaines de la société civile et notamment le
travail des associations environnementales. Ces dérogations ne sont
qu’un piètre hommage aux grands principes de la liberté
d’informer. Elles ne vaudront pas grand-chose devant une
juridiction armée d’un nouveau droit érigeant le secret des
affaires en principe, et la révélation d’informations d’intérêt
public en exception.
Cette offensive sans
précédent sur notre droit à l’information est un enjeu
démocratique majeur qui est en train de mobiliser l’ensemble de la
société civile, comme le montre le succès de la pétition dans ce
sens. Lanceurs d’alertes, syndicats, ONG, journalistes, avocats,
chercheurs et citoyens : nous nous opposerons à l’adoption en
l’état de cette loi. Le droit à l’information et l’intérêt
des citoyens ne sauraient être restreints au profit du secret des
affaires.
Signataires :
Pablo Aiquel,
journaliste, SNJ-CGT ; Eric Alt, vice-président de l’association
Anticor ; Patrick Apel-Muller , directeur de la rédaction de
l’Humanité ; Eric Beynel, porte-parole de l’union syndicale
Solidaires ; Sophie Binet, secrétaire générale adjointe de
l’UGICT-CGT ; Thomas Borrel, porte-parole de Survie ; Dominique
Cellier, président de Sciences citoyennes ; Florent Compain,
président des Amis de la Terre France ; Sandra Cossart, directrice
de Sherpa ; Antoine Deltour, lanceur d’alertes Luxleaks, Dr Marc
Arazi, lanceur d’alerte du Phonegate ; Mathilde Dupré, présidente
du Forum citoyen pour la RSE ; Ivan du Roy, journaliste, corédacteur
en chef de Basta ! ; Jean-François Julliard, directeur exécutif de
Greenpeace France ; Wojtek Kalinowski, codirecteur de l’Institut
Veblen ; Patrick Kamenka, journaliste, SNJ-CGT ; Ingrid Kragl,
directrice de l’information, Foodwatch ; Marie-José Kotlicki,
secrétaire générale de l’UGICT-CGT ; Elliot Lepers, directeur de
l’ONG le Mouvement ; Elise Lucet, journaliste ; Jean Merckaert,
rédacteur en chef de la Revue Projet ; Patrick Monfort, secrétaire
général du SNCS-FSU ; Edouard Perrin, journaliste, président du
collectif Informer n’est pas un délit ; Eric Peres, secrétaire
général de FO Cadres ; Olivier Petitjean, journaliste, coordinateur
de l’Observatoire des multinationales ; Dominique Plihon,
économiste, porte-parole d’Attac ; Emmanuel Poilane, directeur
général de France Libertés et président du CRID ; Patrick Raffin,
photographe ; Christophe Ramaux, économiste à l’université
Paris-I, membre des Economistes atterrés ; Clément Remy, président
de l’ONG Pollinis ; Laurence Roques, présidente du Syndicat des
avocats de France ; Agnès Rousseaux, journaliste, corédactrice en
chef de Basta ! ; Bernard Salamand, Ritimo ; Clément Thibaud,
président de l’Association des historiens contemporanéistes de
l’enseignement supérieur et de la recherche ; Aurélie Trouvé,
porte parole d’Attac ; Emmanuel Vire, secrétaire général du
Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT).
Les organisations
Ingénieurs sans frontières-AgriSTA, CrimHalt, le collectif On ne se
taira pas !, Action Aid France-Peuples solidaires.
Les sociétés de
journalistes de l’AFP, BFMTV, Challenges, les Echos, le Figaro,
France 2, l’Humanité, le JDD, Libération, Mediapart, le Monde, le
Parisien-Aujourd’hui en France, le Point, Premières Lignes, Radio
France, RMC, Télérama, TV5 Monde, la Vie et les rédactions
d’Alternatives économiques, Magneto Presse et la Télé libre.
Communiqué
d’ANTICOR